jeudi 14 juin 2012

Du fond du cœur

   Je suis descendu dans la montagne, j’y ai voyagé galeries et entrailles et à force de brailler dans les tunnels pour ne pas me sentir seul, j’ai fini par tomber dans le cœur du géant. Littéralement dedans.
   C’est donc une grotte. Toute de saillies et d’aspérités, absolument certainement pas uniforme, avec des lambeaux de spectres qui s’y sont arraché les draps. Terrible. Des cadavres quelque part, des genre d’oiseaux informes et dépecés par quoi ? par qui ? Et puis il y avait une fille dans la grotte… Toute nue, mais repliée sur elle-même, de sorte qu’on ne voyait rien. Elle avait des tripes d’oiseaux dans les cheveux, notamment ceux qui s’étaient éclatés au mur, ça lui dégoulinait sur les joues et dans les yeux. Est-ce qu’à travers son regard vide elle voyait le ciel ? Elle avait la colonne vertébrale tordue, comme si elle avait véritablement un tronc à la place, comme si ses os avaient poussé indépendamment des capacités de la chair… des branches, oui, des branches fleuries de sang – marques rouges étoilées sur sa peau d’albâtre.
   J’en suis tombé amoureux fou de cette fille, ce monstre planté comme une tique dans le cœur du géant. Est-ce qu’il l’avait aimée, ce grand squelette ? Oh certainement. Avalée toute crue la fille. Broyée dans un baiser, dégringolée en petits morceaux, essaimée dans le terreau poisseux des fantômes tapissant le fond du cœur. Du fond du cœur… du fond du cœur il l’a aimée, le géant… de toutes ses tripes ! Chaque inspiration de cosmos qu’il prenait c’était pour elle, c’était pour lui filer des étoiles dans les yeux et lui faire pétiller le ventre, c’était pour nourrir son petit berceau gluant… Grandis, mon amoureuse, pousse. Pousse, étale tes branches dans tout mon corps, perce-moi le cœur puisque Cupidon s’occupe des hommes, transporte dans ma tête tes fruits flamboyants, embrase-moi encore, embrasse-moi toujours…
   Mais le géant est devenu paysage et les fantômes, à regret, se sont transformés en spectres. Ternes et tristes, plus envie de crapahuter dans ce vieux corps rouillé, vieux spectres en pyjama et des crucifix dans les yeux, et point. Plus de cosmos, plus d’étoiles, plus rien, la fille a arrêté de pousser. Plus totalement amoureuse et pas totalement humaine, elle a commencé à souffrir, et moi… et moi… je suis tombé.
   Les pantouflards ont voulu m’interdire le passage, mais quoi, quelle interdiction, vous êtes tous morts ! J’ai cueilli une fleur sur cette fille, ça a dû la chatouiller puisqu’elle m’a attrapé le poignet et l’a brisé aussi sec. Avec cette force surprenante des arbres vexés. Je voulais te l’offrir, j’ai murmuré, à toi rien qu’à toi, elle a commencé à rire elle a dit quelle idée d’offrir à une fille ce qu’elle est déjà… quelle idée… J’ai balancé la fleur comme une mariée jetterait son bouquet, un spectre derrière moi l’a attrapé grignoté. Comme ça. Une façon à eux de faire l’amour.
   Et j’ai réfléchi à lui offrir ce qu’elle n’était pas. Qu’est-ce qu’elle était au fond, ma princesse aveugle ? Plus rien… elle n’avait que ses fleurs sanglantes et l’amour d’un mort pour lui tenir compagnie… et moi pauvre con alors ! mon amour à moi bien vivant bouillonnant est venu se blottir entre ses seins contre son cœur a investi ses veines son ventre son rire sa voix sa tête comme un chant furieux un cantique électrique qui s’en vient fracasser l’orgue et valser avec Dieu et dans la cathédrale de son corps mon amour s’est rué de toutes ses forces pour se briser encore et encore, au creux de tes mains et de ta voix, dans ta majesté de créature incandescente, je t’aime…    

   Et mon murmure s’est perdu dans les hauteurs de ce cœur géologique – et quelque part, là-haut, la montagne a frissonné.

2 commentaires:

  1. C'est toujours un plaisir de te lire ! Celui ci je viens tout juste de le dévorer (j'avais pris soin de te piquer le texte aux Geek Faëries). J'adore le côté décalé !
    Continue comme ça c'est génial !
    Bises.

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  2. Merci beaucoup, contente que ça te plaise ! Je continuerai. \o/ Bisous !

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